2016 au Cameroun : une année « noire », mais surtout maudite

Article : 2016 au Cameroun : une année « noire », mais surtout maudite
Crédit:
3 janvier 2017

2016 au Cameroun : une année « noire », mais surtout maudite

En ce début d’année, tout le monde y va de son bilan de l’année écoulée… La coutume a ses droits, et je me permet ici à mon tour, de vous livrer le mien sur 2016. Il s’en est passé des choses cette année au Cameroun… De belles choses, mais surtout des choses très difficiles aussi…Pour avoir vu tout ce que j’ai vu dans mon pays pendant ce 2016 qui s’en va, je me permet de réaliser à quel point j’ai la chance de vivre la vie qui est la mienne, et d’être aussi bien entourée, par ma famille et mes amis. J’ai donc eu envie de partager une petite rétrospective avec vous avant de clore ce chapitre de 2016 et de passer finalement à 2017.

 

Oui, l’année 2016 est rentrée en gare. Mais seulement, elle va rester dans mon petit esprit, comme une des pires au Cameroun. Elle a été si noire et je la qualifie même de maudite. Que de sang versé! Que de morts ! Que d’horreurs! Trois dates macabres et inoubliables me hantent à jamais et ma mémoire n’arrive d’ailleurs pas à s’en passer. Triste référence me direz-vous! J’en garde encore le sombre souvenir.

– Samedi, 12 mars 2016 : de la charcuterie humaine à l’hôpital Laquintinie de Douala

Ce matin là, je découvre l’une des horreurs des tragédies les plus insoutenables de ma vie. Monique Koumatekel. C’est le nom de cette dame qui, transportée d’urgences pour un accouchement,  décédait dans l’émoi, l’effroi et la stupéfaction devant l’hôpital Laquintinie de Douala, faute de moyens pour accoucher. Sa sœur Tacke Rose, dans un geste fou, mais quand même désespéré, s’était alors improvisée accoucheuse d’urgence et ouvrait brutalement, avec une lame de rasoir, le ventre de la défunte jeune dame, couchée sur un simple pagne à même le sol, afin d’en extraire les jumelles pourtant encore vivantes. Elles sont décédées malgré leur extraction, sans aucune assistance médicale, devant la porte fermée de l’établissement hospitalier public. L’argent demandé pour sa prise en charge n’était malheureusement pas là. Aucun personnel ne pouvait donc l’assister malgré l’extrême urgence. Monique a été condamnée à mort pour délit de pauvreté.
A travers des smartphones, tout une Nation découvrait alors pétrifiée et abasourdie, l’une de ses dignes filles, éventrée et fendue à la lame comme un vulgaire animal. L’indignation est totale. Comment pouvait-on laisser mourir une compatriote de cette manière et dans les conditions aussi atroces et barbares? L’onde de choc est immense. Les images insoutenables de cette scène surréaliste ont fait le tour de la planète. Elles ont même provoqué une sorte de cataclysme dans le système de santé de tout le pays et dans toutes les sphères politiques de la Nation. Mais, le ressentiment suscité par l’affaire, n’est pas tant lié à la personne de feu Monique Koumatekel, mais au délitement de tout l’appareil sanitaire de notre pays

– Vendredi, 21 octobre 2016 : de la boucherie humaine à Eséka

Dans la nuit de jeudi à vendredi du 21 décembre 2016, j’apprenais tristement que le trafic routier sur l’axe lourd Yaoundé-Douala était brusquement coupé en raison de la rupture d’un aqueduc. Cet axe étant le plus fréquenté du pays, c’est ainsi que la Camrail , devant faire face au fort afflux de voyageurs, décidait alors d’ajouter huit voitures supplémentaires au train 152 reliant Yaoundé à Douala, qui en comptait habituellement neuf, portant le nombre de passagers à un nombre compris entre 1 200 et 1300 passagers, en majorité des jeunes. Quelques heures plus tard, après son départ de Yaoundé à 11h15, le train 152 de la Camrail, déraillait à proximité de la gare d’Éséka aux environs de 13h30: une quinzaine de voitures se sont renversées dont quatre ont basculé dans un ravin.

Le bilan officiel est lourd : plus de 80 morts et près de 700 blessés. Les victimes ont du être acheminées, dans les conditions les plus éprouvantes et les plus critiques pour leur survie, vers les hôpitaux de Douala et Yaoundé. Pathétique. La gestion de la catastrophe manque cruellement de dignité. Les blessés et les morts sont empilés comme des bêtes dans les hôpitaux et les morgues. La consternation atteint son paroxysme. La douleur est atroce et brutale. Une journée de deuil national est même décrétée. Tout un pays est brisé dans les cœurs et les esprits. Tout simplement dramatique. Le funeste événement d’Eséka n’est pourtant pas un pur accident. Le hasard, ou plutôt la malchance, a bien sûr joué son rôle. Mais elle s’est engouffrée dans une série de brèches complaisamment ouvertes par l’incurie d’une administration trop laxiste et incompétente. Tout un peuple fut meurtri. J’ai encore si mal. Difficile d’oublier cette douloureuse plaie.

– Jeudi, 8 décembre 2016 : Des morts, du sang et du feu à Bamenda

Le jeudi 8 décembre, je me réveille avec une triste nouvelle. Une partie du pays est en feu et en sang. La ville de Bamenda au Nord-Ouest du pays , dans la partie dite « anglophone », se réveillait alors, paralysée par un soulèvement populaire qui a pour origine, une protestation des avocats d’obédience anglophone, exigeant la traduction en anglais des actes de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA). Ce soulèvement populaire était organisé en vue d’empêcher la tenue d’un meeting du RDPC, conduit par le PM et le S.G général de ce parti venus sur les lieux. Le mouvement d’humeur fait alors un effet boule de neige auprès des enseignants et des étudiants, avant de gagner une bonne partie de la population civile, au sein de laquelle des slogans de sécession des régions anglophones du Cameroun sont désormais entendus. Les rues de Bamenda se transforment en champ de bataille. Des jeunes surchauffés érigent des barricades et transportent des projectiles.

La colère grimpe. Difficile pour les forces de l’ordre de dissuader une foule en furie qui balançait les objets de toute sorte. Il faut alors éviter le pire. La violence est brute. Les véhicules et les édifices publics des forces de l’ordre sont brulés. Malheureusement, des tirs à balles réelles se font entendre. Des policiers à la gâchette facile sont fortement déployés dans la ville avec pour ordre de tirer pour tuer des manifestants aux mains nues. Des rafales de balles réelles, des tonnes de boites  métalliques de gaz lacrymogène et des canons à eau sont utilisés contre les manifestants et  les étudiants. On compte désormais des morts et de nombreux blessés. Certains manifestants n’hésitent même pas à hisser le drapeau du Southern Cameroon National Council pour marquer la sécession du Cameroun. Effroyable. Je n’avais jamais vu ça. Bamenda devient en quelques jours, le Bengazy libyen, ou le Homs syrien. Ces émeutes me rappelaient alors que les crises sociales authentiques n’ont pas besoin d’instigateurs politiques. Elles cherchent juste une étincelle pour s’allumer. Bamenda l’a prouvé et le Cameroun en a souffert. Heureusement il est resté indivisible.

2016, une année vraiment sombre et maudite au Cameroun!

Ces trois dates marqueront donc à jamais mon esprit. Je n’avais vraiment pas encore vécu une année aussi sombre et sanglante comme celle qui vient de s’achever . Une vraie hécatombe sociale. De nombreux Camerounais ont ainsi rejoint les étoiles dans ces évènements macabres et insoutenables. Que leurs âmes reposent en paix, ainsi que celles de tous ces autres compatriotes partis dans les conditions souvent tragiques. Vivement que l’année 2017 soit plus gaie et fasse surtout couler moins de sang. La vie est une grâce.

Bonne et heureuse année! Longue vie et santé de fer à tous et à chacun!

Fabrice NOUANGA

Partagez

Commentaires