Je suis enseignant, j’enseigne en saignant
Après plusieurs années d’études supérieures, diplômé d’un Master II en langue française, et après avoir brillamment réussi le concours d’entrée à l’Ecole Normale Supérieure de Yaoundé, je suis depuis bientôt 10 ans déjà, professeur certifié de Français. Ce choix, je l’ai accueilli avec humilité et reconnaissance. Ce statut de prof, je le dois, par la grâce de Dieu, à mes parents, mais surtout à tous ces enseignants chevronnés, qui m’ont encadré tout au long de mon cursus.
Ils sont nombreux, ces enseignants, à m’avoir beaucoup marqué dans les différentes étapes de mon parcours d’apprenant, de l’école élémentaire à l’université. Durant le grand marathon de leur carrière professionnelle, elles et ils ont réussi, chacune et chacun à leur façon, à ensoleiller ma vie, celle de plusieurs centaines d’autres camarades et collègues, et à illuminer le chemin de la connaissance de ces apprenantes et apprenants que nous fûmes.
Tout part souvent d’un rêve…
Je me souviens encore, que mes enseignants avaient l’habitude de demander aux élèves, ce qu’ils voulaient devenir quand ils seraient grands. J’étais très attiré par l’enseignement et le journalisme. Dans ma tête, c’était clair. Il me fallait, pour ma formation professionnelle, passer, soit par l’Ecole Normale Supérieur (ENS), soit par l’Ecole Supérieure des Sciences de l’Information et de la Communication (ESSTIC).
Finalement, c’est l’ENS qui m’accueillait. Un petit pincement m’était tout de même resté au cœur, en sachant pertinemment, à partir de ce moment là, que je venais de tourner définitivement le dos au micro, comme choix de carrière, et d’embrasser la craie, comme choix de vie. Aujourd’hui, je suis si fier d’être enseignant, même comme je vis parfois en saignant.
Sur le terrain, une vraie galère, une dure misère…
J’ai commencé mon métier, juste après l’obtention de mon diplôme de sortie de l’ENS de Yaoundé en 2007, dans la ville de Mundemba, une bourgade perdue dans une des vastes forêts du Sud-Ouest Cameroun. J’ai été contraint de quitter la capitale, tout jeune, comme presque tous les enseignants débutants, de déménager brusquement, me séparant brutalement de mes proches, abandonnant ainsi derrière moi, tout, oui tout.
Seul enseignant de français dans le coin à l’époque, avec pas moins de 7 niveaux à enseigner et de plus de 30 heures de travail par semaine, sans salaire, pendant 4 ans…Ce fut extrêmement difficile et éreintant ; des années terribles ; un vrai calvaire ; que de galère ! Tout une misère. J’ai bien failli renoncer et démissionner, onong. Mais bon, j’ai pu tenir fort et ferme, tenir durablement quatre grosses années de souffrance, avant de me faire enfin affecté un matin, à Yaoundé, où j’ai pu de nouveau retrouver la civilisation et où j’exerce jusqu’à ce jour.
Se donner entièrement pour les autres…
Comme moi, de milliers d’autres enseignantes et enseignants, en ce début des classes, vont être contraints de laisser tout de côté, jusqu’à leur propre personne, pour se consacrer aux autres, pour aider les autres à se construire et à construire leur vie. Ils laisseront, leurs maisons, leurs conjoints, leurs enfants, leurs passions, leurs loisirs, leurs rêves, leurs familles…pour aller partout, dans les coins les plus reculés du pays, parfois, sans argent, sans toit, sans confort, sans nourriture, sans eau potable, sans électricité.
Ils iront servir, dans des coins en totale déphasage avec leur vécu d’antan, dans des établissements sans infrastructures, dans des zones à risque, dans des terrains de guerre. Ils braveront des obstacles pour rallier de lointains hameaux d’affectation, parfois à pied, à pirogue ou à moto, faute de transport ou de routes praticables. Leur travail sera continu, sans réel repos. Après une dure journée dans les salles de classe, ils passeront des nuits blanches, parfois au clair de lune, ou avec des lampes tempêtes et des bougies, pour préparer d’autres cours ou corriger les copies d’évaluation de leurs élèves, et ce, des mois et des mois durant.
Enseignant, un métier très dur, un métier de FORTS…
Quand je regarde les charges énormes et les conditions de travail lourdes, contraignantes et très difficiles de ces enseignants, je me dis, sincèrement : pour exercer ce métier au Cameroun, il faut avoir des couilles solides, de la hauteur et un moral de fer. Je pense sérieusement que, tous ceux qui chez nous, ont choisi comme moi, cette profession, ne sont pas des hommes véritablement ordinaires. Tout comme les forces de défense et de sécurité, ils ont un plus par rapport aux autres.
Les enseignants sont l’incarnation de l’esprit d’abnégation et de sacrifice. J’avoue que, comme moi, ils pouvaient faire d’autres choix de carrière ; mais ils ont opté pour le très difficile, le plus difficile : l’enseignement. Décidant ainsi, tout volontairement, de mener une vie de renoncement, une vie d’éthique, une vie de compétence, une vie de sacerdoce. C’est d’ailleurs, cette rigueur personnelle qu’impose ce métier d’enseignement, qui me fascine et me blase tant dans ce métier. Voilà pourquoi, j’en suis fatalement devenu passionné, malgré tout le saignement qu’il impose parfois.
Je nous rends à tous et toutes, un vibrant hommage…
C’est donc avec une grande reconnaissance, qu’il m’est utile aujourd’hui, de rendre un vibrant hommage aux enseignants du Mboa, afin de souligner leurs plus impressionnants exploits et les réalisations dont ils peuvent être fiers. Je sais qu’enseigner, peut procurer des joies incomparables et de l’épanouissement personnel, mais je suis également conscient que, tout n’est pas toujours rose en salle de classe.
Or, il s’avère essentiel de reconnaitre le travail colossal effectué par ces personnes extraordinaires, au profit de notre société tout entière. Evidemment, cette société là, paradoxalement ingrate quelquefois, nous doit, beaucoup de respect pour ce que nous avons accompli pour elle, car, au demeurant, nous participons activement à la vitalité de nos communautés. Les enseignantes et enseignants, voient l’éducation comme une mission et se consacrent pleinement au bien-être de leurs apprenants.
Pour moi, enseigner représente plus qu’une profession; il s’agit au delà de tout, d’une aventure rocambolesque, empreinte de bonté et de sagesse, d’un parcours de vie ponctué de défis et de succès. On trouve dans les salles de classe, blouse et craie en main, un nombre impressionnant de femmes et d’hommes, pétris d’humanité, manifestement justes et patients. Je sais qu’ils sont imbus d’humilité et d’empathie et je peux certainement me réjouir de compter parmi ce bassin de professionnelles et de professionnels de si grande qualité et qui font preuve d’abnégation, de patience et de générosité.
Chapeau bas à vous, chers MAÎTRES de l’éducation…
Juste pour cela, ces femmes et ces hommes méritent grand respect. Oui, nous méritons du respect. Tous, vous nous devez une très haute considération. Nous sommes les artisans de vos réussites individuelles et collectives. La reconnaissance de ce mérite, est un devoir moral.
La preuve, le Président de la République, Paul Biya, lui-même, lors du Comice Agro-Pastoral à Ebolowa, en 2011, avait rencontré, parmi les centaines de personnes présentes qu’il reçut à cette occasion, son ancien maître de l’école primaire, croulant sous le poids de l’âge et de la précarité. Il a aussitôt demandé à ce que sa présence soit annoncée publiquement devant les cameras, avant qu’il ne lui rende, lui-même, un vibrant hommage lors de sa prise de parole. Quel geste !
Vous êtes incontestablement des HÉROS…
Je voudrais donc dire, à tous ces enseignants et enseignantes qui ont repris les cours hier, jour de rentrée scolaire au Cameroun, de s’accrocher, car les angoisses et les doutes sont nombreux. Devenir un bon enseignant s’apprend, il faut accepter cette progressivité et se trouver au quotidien des petites victoires qui font tenir le coup. Il faut surtout trouver un équilibre et se surpasser.
Ce métier aussi beau soit-il, manque de reconnaissance, je sais. Il génère même un injuste mépris, je le reconnais. Mais, il aura notre peau si nous ne mettons pas de limites et ne prenons pas de recul. Enseigner, c’est comme entrer sur un ring, mener un combat (contre soi-même) et le gagner avec brio. Car, un enseignant qui essaie d’enseigner sans inspirer à ses élèves le désir d’apprendre, et la détermination de réussir, frappe sur des têtes dures.
Mesdames et Messieurs les Enseignantes et les Enseignants, de toutes les générations, de l’élémentaire au Secondaire, chers collègues, les mots me manquent pour vous exprimer toute ma reconnaissance. Mille fois chapeau bas à tous! Vous êtes les MAÎTRES. Oui, vous êtes les CHAMPIONS. Que dis-je ? Vous êtes les HÉROS…Je vous dois tout. La Nation nous doit tout.
Continuons donc de travailler sans cesse, prenons de la peine, chers collègues! Nous avons fait le choix du plus beau métier du monde ; nous avons fait le choix de l’humanité ! Bonne rentrée à tous et à chacune!
Fabrice Larry NOUANGA
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