Cameroun : ces discriminations que les anglophones subissent

21 août 2018

Cameroun : ces discriminations que les anglophones subissent

Il y a quelques jours, pendant que je prenais une bière en compagnie d’un de mes grands frères et amis, nous débâtions sur la crise anglophone en cours au Cameroun. Je m’inquiétais alors de la tournure terroriste et terrifiante que cette crise avait pris et surtout les nombreuses exactions commises, tant du côté des séparatistes que de l’État.

Il réussit quand même à me convaincre de la vraie origine du conflit. Deux petites anecdotes tellement anodines qu’il me raconta m’indignèrent : celle d’un justiciable anglophone, condamnable seulement parce qu’il était incapable de s’exprimer correctement en français, et l’autre, d’un enseignant francophone incapable de traduire un mot français en anglais correct à ses étudiants anglophones.

Un post sur Facebook qui parle de cette crise

Évidemment, ces deux cas et bien d’autres démontrent à suffisance les discriminations que subissent nos frères anglophones au quotidien au Cameroun. Pour nous autres francophones, nous ne ressentons pas vraiment le mal, mais les faits sont là.

Les anglophones représentent seulement 20 % de la population du Cameroun et vivent pour la plupart dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Lorsqu’en 2016 leur colère a été provoquée par le refus du gouvernement de répondre à des avocats anglophones, qui dénonçaient la nomination de magistrats ne parlant pas suffisamment bien anglais et non formés en common law [système juridique d’inspiration britannique], personne ne se doutait qu’une simple revendication comme celle-là dégénérerait en une grave crise sociale aujourd’hui incontrôlable.

Après des manifestations qui ont parfois été réprimées violemment par le pouvoir central, enseignants et étudiants ont rallié les avocats. Le mouvement a pris de l’ampleur, critiquant la transformation progressive des modes de vie sous l’influence francophone.  Eh oui, les francophones ont toujours dupé les anglophones.

 

L’histoire nous le rappelle 
Le 21 juillet 1961, lors de la conférence de Foumban, l’ex président francophone Ahidjo met sur la table une constitution ficelée par la France. Les Anglophones, qui ne s’y étaient pas préparés, ne font rien d’autre qu’y apporter des amendements dont une grande partie sera rejetée. Et comme si ça ne suffisait pas, un référendum presqu’illégal est organisé en 1972. Et au lieu d’organiser ce référendum uniquement dans le Cameroun anglophone pour mesurer objectivement le degré de réceptivité des populations locales à l’idée de vivre sous un régime unitaire et non fédéral, Ahidjo l’étend sur tout le territoire du Cameroun francophone qui représente pourtant 80% de la population, ouvrant ainsi les portes à un « oui » automatique.
L’histoire du Cameroun montre donc combien les francophones ont marginalisé les anglophones.

Un post sur la page Facebook de BBC qui explique l’origine de la grève des avocats anglophones

Un fonctionnement ardu de l’État 
Et à voir le fonctionnement de notre République actuelle, la mal-gouvernance de nos dirigeants depuis 1982 est venue renforcer ce mal. Les anglophones subissent donc tous les jours des frustrations parfois intolérables et flagrantes.

Dans la Constitution de 1961, « le français et l’anglais sont les langues officielles de la République fédérale du Cameroun … ». Celle de 1996 va plus loin en stipulant que « les langues officielles de la République du Cameroun sont le français et l’anglais, les deux langues étant d’égale valeur. » Mais, L’Etat ne garantira pas la promotion du bilinguisme dans le pays et ne s’efforcera pas de promouvoir et de protéger la langue anglaise au même titre que le français. Non seulement la loi du nombre donne une prééminence certaine au français, en consacrant une espèce de marginalisation de l’anglais, mais surtout, le bilinguisme officiel sert d’alibi à trois défaillances imputables à l’Etat au Cameroun.

C’est tellement étonnant de voir tant d’incongruités dans le fonctionnement de notre cher Cameroun. Dites-moi, pourquoi les textes officiels de notre pays sont-ils encore publiés uniquement en français ? Pourquoi la majorité des officiels (président, ministres, DG, et autres) francophones ne s’expriment-ils pas en anglais en situation formelle ? Faites un tour dans nos administrations pour vous rendre compte de la situation.

Pourquoi, dans le système éducatif camerounais par exemple, l’Etat s’est-il limité à une juxtaposition dans le pays de deux sous-systèmes (anglophone et francophone) au niveau du primaire et du secondaire, pour ne « tolérer » le bilinguisme que dans l’enseignement supérieur, alors que l’institution de la parité linguistique dès 1961, de la maternelle au supérieur, aurait à ce jour moulé des millions de Camerounais dans le bilinguisme intégral ? Regardez les plaques et enseignes publiques !  Tout est écrit en français. L’anglais est souvent écrit tout petit en dessous ou carrément inexistant.

Des posts sur Facebook se multiplient pour dénoncer les frustrations anglophones

Que de duperies !
Même lorsqu’ils sont nommés à des postes élevés dans l’administration pour des raisons d’intégration nationale, las anglophones disposent en réalité de peu de marge de manœuvre, et ne peuvent donc pas impacter (culturellement, entre autres) sur le système. Les ennuis quotidiens du Premier Ministre anglophone sur certains dossiers, le manque de respect chronique et ouvert dont il est l’objet de la part de certains membres du gouvernement, aggravent une situation déjà fort embarrassante.
Alors, je voudrais le dire ici. Ce n’est pas parce qu’au Cameroun, la communauté anglophone est minoritaire démographiquement, territorialement et économiquement qu’elle devrait être culturellement étouffée ou assimilée par la majorité francophone. Certaines attitudes ou faits objectifs confirment cette impression au quotidien, et cela aboutit inéluctablement à ce sentiment largement partagé par les anglophones d’être culturellement muselés, comprimés, marginalisés et finalement trompés et dupés au change par les Francophones, malgré tout le ramdam fait autour de la promotion officielle de leurs langue, l’anglais.

Un post sur Facebook au commencement de la crise

Je redis donc ici que leurs revendications de départ étaient légitimes et fondées. On aurait dû les prendre sérieusement en compte. Dommage qu’elles se soient plutôt transformées en revendications séparatistes et sécessionnistes, avec tous les pillages et tueries qu’elles engendrent. Bien dommage ! Vivement l’accalmie et que le problème anglophone soit donc enfin véritablement posé sur la table dans un dialogue franc et porteur d’espoir. Le prochain septennat au lendemain du 7 octobre prochain doit s’y pencher, absolument et catégoriquement. Peace in Cameroun !

Fabrice NOUANGA

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